2020 - Collection en mouvement, L'oeil de Sonia, nouvelles voies abstraites, Tarnac

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Les Petites Maisons

Place de l'Église, 19170 Tarnac

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Exposition du 3 juillet au 3 août 2020

Vendredi 10 juillet 2020 à 18h : présentation de l'exposition en présence de l'artiste David MALEK

Nous vous partageons ici cet échange impromptu entre David Malek et Yannick Miloux, directeur du FRAC-Artothèque : ici

Avec les œuvres de :
Sigrid CALON, Sonia DELAUNAY, HIPPOLYTE HENTGEN, Shirley JAFFE, Cathy JARDON, David MALEK, Florindo NANNI, Ina VAN ZYL.
Œuvres des collections du FRAC-Artothèque Nouvelle-Aquitaine.

Malek web

David Malek
The swimmer, 2014 (détail)
Acrylique sur toile
170 x 100 cm
Collection FRAC Limousin
© D. Malek

 

 

A partir d’un ensemble d’œuvres récentes, tableaux et œuvres sur papier, autour de l’abstraction géométrique, nous souhaitons proposer à la réflexion plusieurs aspects de ces voies toujours empruntées aujourd’hui
par les artistes. Les questions de lumière, de couleur, de rythme, de profondeur, de composition sont les principes fondamentaux sur lesquels les artistes travaillent, dans une économie qui leur est propre. L’exposition veut mettre en lumière, en espace et en rythme, les recherches plastiques de cet art abstrait géométrique fondé au début du XXème siècle et qui persiste toujours sous des formes renouvelées.

Les œuvres de cette exposition sont réunies sous le regard de Sonia Delaunay (1885-1979) une figure historique de la peinture géométrique abstraite. Cette artiste d’origine ukrainienne, passée par l’Allemagne et arrivée très jeune à Paris, fut d’abord influencée par le Fauvisme (Gauguin et Van Gogh, surtout) puis par le Cubisme. S’éloignant du cubisme au profit de la couleur, elle s’associa avec son mari Robert Delaunay pour travailler à des recherches sur la lumière et la couleur à partir des théories de Chevreul, travaux qu’ils nommèrent « Simultanéisme » (1). Même s’il lui fallu parfois mettre entre parenthèses ses propres créations, elle sut toujours renouveler sa pratique pour diffuser ses idées. Travaillant pour la mode, les arts décoratifs, « customisant » des voitures de sport, dessinant des costumes et des décors pour des ballets, elle opta pour une stratégie de dissémination à travers de multiples projets afin d’accomplir son credo : introduire le rythme dans la peinture par la couleur. Elle appliqua le principe des « contrastes simultanés » aussi bien à la mode qu’à la reliure, à la décoration et à l’illustration dans des domaines très variés : peinture de chevalet, projets d’affiches, décors intérieurs, tissus et vêtements « simultanés », albums d’art décoratif, jeux de cartes, estampes, tapisseries, etc. Parmi les estampes des années 1960 présentées, on retrouve son langage plastique caractéristique. Toutes sont sans titre, sauf une, « L’œil », où l’effet de diffusion des cercles concentriques est repris en plus petit et avec des nuances colorées différentes, à la surface du motif. D’où un effet de diffusion et de concentration, de mise en abîme dynamique. Cette estampe donne son titre à l’exposition.
Cette dissémination des contrastes simultanés trouva des prolongements. On la considère aujourd’hui comme une pionnière du Pop Art – elle influença notamment Jasper Johns et Richard Hamilton – et, beaucoup plus encore, de l ‘Op Art et de l’art cinétique des années 1960/70.

Shirley Jaffe (1923-2016) étudie l’art à New York, puis à Washington et découvre les premiers tableaux de Kandinsky. En 1949, elle s’installe définitivement à Paris. D’abord expressionniste abstraite, sa démarche s’oriente à partir des années soixante vers un mélange de tumulte et d’ordre; les couleurs s’enchevêtrent, se recouvrent, débordent, mais sont déjà prises dans les formes d’une organisation géométrique complexe. Les « matrices formelles » (losanges encastrés, arabesques) font leur apparition… En 1970, elle abandonne le geste et la matière pour la couleur et la géométrie : la toile devient immobile ; la composition se fait frontale ; les couleurs, beaucoup plus mates, sont désormais appliquées le plus uniformément possible sans traces de pinceau. Les éléments de composition sont contenus dans des formes géométriques – triangles, rectangles, trapèzes, parallélogrammes – régulièrement ajointées ». (2)

Les recherches de Florindo Nanni (1952) sont surtout axées sur la lumière et la couleur. Un de ses amis peintres, Pierre Mabille, le présente en ces termes : « Peintre et penseur de la couleur, ses pratiques multiples mettent en jeu couleur et temporalité. Sa peinture se développe d’une manière discrète et solitaire. Sa peinture abstraite, rigoureuse et lumineuse, est chargée d’une somme d’expériences » (3) Détaillant les motivations qui l’ont conduit à ces œuvres récentes sur calque polyester qu’il nomme « Feuilletages », l’artiste explique : « A la recherche de nouveaux supports, j’ai choisi ce matériau industriel pour ses qualités de souplesse, de minceur, de translucidité. La technique de la peinture ancienne m’a paru la mieux à même de convenir à mon projet pictural…Une multitude de gestes s’annulent dans le processus pictural qui renvoie à la fresque murale. La peinture devient une peau transparente déposée à fleur de surface et ne rend plus compte que d’elle-même. La superposition des feuilletages colorés légèrement décollés du mur joue sur l’évanescence des formes et la couleur s’affirme en tant que matériau à part entière et en tant que lumière. Le film étant très mince, la forme plastique devient de moins en moins matérielle, comme si la couleur flottait dans l’espace. Synthèse de recherches antérieures, ce travail instaure un dialogue avec le mur et l’espace ». (4)

Née à Den Bosch (Pays-Bas) en 1969, Sigrid Calon a d’abord étudié le textile, et après quelques années d’expérience dans le monde du design, elle se consacre entièrement à l’art à partir de 2005. Son œuvre navigue entre art autonome et art appliqué. Les principales caractéristiques de la démarche de Sigrid Calon sont l’intuition, les proportions et le jeu. Elle s’inspire des choses quotidiennes qui l’entourent. Son premier livre « To the Extend of / I&- , paru en 2013, dont sont extraites les risographies présentées, se compose de 120 « compositions » dans lesquelles elle cherche un équilibre entre couleur, forme et clarté. « Sigrid Calon cherche l’essentiel et développe un langage visuel dans lequel elle joue avec la forme et la couleur dans la grille ou dans le cadre. Ainsi, elle explore les possibilités de « communication intuitive » (5).

Ina Van Zyl, née en 1969 en Afrique du Sud, s’est d’abord consacrée à la bande dessinée avant de se former à la peinture au milieu des années 1990 aux Pays-Bas, où elle est établie aujourd’hui. Elle peint des sujets divers, mais récurrents – bulbes, pieds de femme, portraits, verges et vulves – dans des formats disparates mais jamais très grands qui sont exactement dictés par le sujet. Elle peint d’après des photos de magazines ou des photos prises par elle, mais son point de vue rapproché n’empêche pas que les objets et les corps semblent momentanément soustraits à un inévitable éloignement.(6) Tous ses sujets sont curieusement éclairés, et son usage du clair-obscur très contrasté apporte un mystère supplémentaire à ses peintures.

David Malek, né en 1977 à Springfield, a grandi aux Etats Unis dans un milieu scientifique avant d’entamer une formation artistique au Hunter College New-York jusqu’en 2006. Il s’installe en France en 2012, d’abord à Paris, puis à Poitiers où il vit aujourd’hui. David Malek crée des œuvres symétriques qui le conduisent à une investigation continue de la lumière, de la couleur et de l’espace aussi bien au sens formel que dans ses aspects signifiants. Ancrées dans des formes et des motifs répétitifs, ses œuvres reposent sur des relations entre la forme et le fond, entre deux couleurs et deux textures, l’une faite au pinceau, l’autre au rouleau. Cette approche systématique résulte d’une déconstruction d’image qui semble retourner à ses origines, en unissant le symbole ou le motif peint à un arrière-plan très contrasté visuellement. Ses sources d’inspiration peuvent être des symboles puisés dans « 2001 : l’Odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick ou les jardins de Versailles, par exemple, ou encore des peintures tantriques. Ici, le motif originel du tableau se trouve dans une courte scène d’un film de Franck Perry « The Swimmer » (1968), dans lequel « en été, dans une banlieue chic de New York, un homme parcourt son voisinage en plongeant de piscine en piscine ».(7)

Après des études entamées à l’Ecole des Beaux Arts de Dijon, Cathy Jardon, née en 1979, a complété sa formation en Allemagne, d’abord à Düsseldorf, puis à Hambourg, avant de s’installer à Berlin où elle vit depuis.
Le répertoire géométrique de Cathy Jardon ne cesse de s’agrandir, de se diversifier. Les deux toiles anciennes présentées, « Decall 1 » et « Decall 2 », correspondent à un moment où l’artiste se pose des questions de composition et décide de laisser faire le hasard. A partir de papiers d’emballages et de tissus divers, elle laisse tomber ces fragments de motifs sur le sol, les cadre et les reporte en peinture. C’est le hasard et la gravité qui sont à l’origine de ces associations. Même s’il reste à l’artiste la pré-sélection des motifs et leur cadrage, c’est le même geste que celui de Jean Arp en 1915 qui laisse tomber, au hasard, des papiers découpés et les colle tels quels sur le support. Depuis ces premiers tableaux de décalages, Cathy Jardon a déployé ses recherches dans de multiples directions, du monochrome peint en perspective sur le mur jusqu'à des investigations très poussées sur la perception scientifique des couleurs, dans des séries souvent courtes, qui rebondissent de manière très libre dans des territoires géométriques archi-connus ou totalement spéculatifs, selon son humeur.

Le duo d’artistes Hippolyte Hentgen (nées en 1977 et 1979) s’est fondé en 2003. Les deux artistes travaillent à quatre mains dans des domaines divers : dessins, collages, peintures, sculptures, installations, films, décors, spectacles, etc. Leur répertoire s’appuie sur des images aux origines variées (magazines, livres illustrés, dessins de presse, photographies, bandes dessinées, etc.) qu’elles manipulent avec dynamisme et humour. Le grand dessin présenté, « Les Géomètres », reprend les codes classiques de la représentation. Dans une perspective centrale, des blocs géométriques sont répartis de telle sorte qu’il forment un paysage monumental à mi-chemin des pyramides égyptiennes et des traités illustrés de géométrie. Espiègles, les deux artistes utilisent ici les techniques de la caricature pour personnifier les formes, les doter d’yeux et de fumée, rappelant que la géométrie et l’architecture furent longtemps une affaire de pouvoir, exclusivement et grotesquement patriarcale.

L’exposition « L’œil de Sonia », par l’engagement et la ténacité des artistes dans ces nouvelles voies abstraites où la présence féminine domine, nous montre que les choses ont peut-être enfin commencé à changer.

Yannick Miloux

Notes :
(1) Robert et Sonia Delaunay sont considérés comme des pionniers de l’art abstrait géométrique européen. Inventeurs du « Simultanéisme », renommé « Orphisme » par Baudelaire, ils ont contribué au renouveau des arts appliqués et ont été les promoteurs de l’Art Abstrait en France. Sur le fameux diagramme établi par Alfred H. Barr pour son exposition « Cubism and Abstract Art » (MOMA New York 1936) qui dresse une généalogie de l’art de 1890 à 1935, on trouve l’Orphisme des Delaunay, daté de 1912, dans la partie droite du tableau qui va conduire à l’Art Abstrait Géométrique , tout près du Suprématisme (Moscou 1913) - car tous les deux directement influencés par le Cubisme (Paris 1906-1908) - au même niveau que l’Expressionnisme abstrait (Munich 1911) et le Futurisme italien (Milan 1910). On constate également que l’Orphisme n’a pas de descendance directe, contrairement à la plupart des autres mouvements, et qu’il échappe à la dénomination « Machine Esthétique » telle qu’affublée au Cubisme, Suprématisme, Constructivisme, Bauhaus, Néoplasticisme, Purisme, Dadaïsme, Futurisme et Architecture Moderne par le jeune conservateur.
(2) Biographie de Shirley Jaffe par Bénédicte Ajac sur le site Aware
(3) Pierre Mabille, communiqué de presse de l’exposition « Clairement dénombrée », La Couleuvre, 2013-2014
(4) Dossier sur le site internet de l’artiste
(5) Site du Museum de Lakhenhal, Raleiden
(6) Voir Catherine Millet:“Ina van Zyl, galerie Bernard Jordan“ Art Press avril 2018
(7) Traduit en français par “Le plongeon” avec Burt Lancaster dans le rôle principal, ce film considéré comme très important par l’acteur fut un échec commercial. On le perçoit aujourd’hui comme « une critique intimiste et vertigineuse de la vanité du rêve américain » (wikipedia)

 
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